Originaire d'une famille juive de Bohème, Sigmund Freud naît le 6 mai 1856 à Freiberg en Moravie. Troisième fils de Jakob Freud, modeste négociant, il est le premier enfant de son dernier mariage. Après quelques déménagements, la famille Freud s'installe dans le quartier juif de Vienne, ancien ghetto de la ville. Brillant élève, premier de sa classe pendant ses sept dernières années de scolarité (collège et lycée), il hésite quant aux études qu'il doit faire entre le droit, la médecine et la philosophie. Ayant choisi la médecine, il mettra du temps à terminer ses études : il en profitera pour assister aux cours de Brentano[4], travailler dans le laboratoire de Carl Claus d'abord et d'Ernst Brücke ensuite. Il est docteur en médecine en 1881, et Brücke lui conseille de commencer à pratiquer en hôpital pour se faire une situation. Freud se fiance en juin 1882, et étant assez pauvre, doit penser à son avenir plus qu'au plaisir de la recherche en laboratoire.

Déroulement des travaux de Freud


Freud a très tôt le projet général de constituer une psychologie scientifique à partir de trois principes de fonctionnements psychiques (« dynamique, topique, économie», selon ses termes). Il poursuit cet objectif jusqu’à la fin de sa vie, et dans la dernière période, il élargit son propos aux conséquences d’une telle vision de la psychologie dans le champ de l’anthropologie.

À plusieurs reprises, il va donc élaborer des modèles (au sens moderne) de l’appareil psychique et les confronter à sa pratique thérapeutique, incessante pendant plus de cinquante ans.

Première phase (1883-1893) : de l'hypnose à la méthode cathartique

Jeune médecin, jeune neurologue, jeune chercheur et jeune psychiatre (avant la lettre), Freud se trouve confronté à une énigme scientifique. Le champ des névroses commence à être distingué du champ des maladies avec lésions et de la simulation : il existe des troubles fonctionnels sans lésion, mais provoquant une réelle douleur psychique pour le patient.

Quelle est l’origine de ces troubles névrotiques et du plus exemplaire d’entre eux, le plus spectaculaire aussi, l’hystérie ? Freud connaissant l’anatomie et la physiologie cérébrales, normales ou pathologiques ou soumises à des toxiques (la cocaïne par exemple) se tourne vers Charcot puis Hippolyte Bernheim pour comprendre le cas d’Anna O. dont il a eu connaissance par son maître Breuer ainsi que du traitement que celui-ci avait engagé, et dont les explications ne satisfont pas Freud.

À Paris, Charcot dit à voix basse, et il ne souhaite pas que cela se diffuse, que l’hystérie a quelque chose à voir avec le sexuel ou le génital (origine supposée et discutée depuis Hippocrate, utérus donnant l’étymologie d’hystérie). Mais par quel processus la sexualité peut-elle conduire à l’hystérie, d’autant que l’on sait que l’hystérie masculine existe aussi (cf. conférence de Freud en 1886) ?

L’hypnose permet à Charcot de démontrer que les troubles hystériques ne sont pas lésionnels, puisqu'ils disparaissent sous hypnose. Bernheim essaye d’utiliser celle-ci pour soigner, en énonçant que l’hystérie est un trouble psychologique. Mais l’hypnose n’est pas toujours efficace et les théories (mal dégagées du mesmérisme) n’expliquent pas son fonctionnement. Hippolyte Bernheim théorise la suggestion comme explication de l’origine du trouble et comme moyen thérapeutique. Freud conduit une de ses patientes Emmy von N. chez Bernheim pour traiter son hystérie ; c'est un échec, confirmé par la patiente, qui demande alors à Freud de cesser toute hypnose et toute suggestion, mais de l’écouter.

Le cas d'Emmy Von N. permet à Freud de poser d'une part l’hypothèse que l’hystérie est la conséquence d’un traumatisme sexuel subi pendant l’enfance et, d’autre part, qu'en faciliter l’évocation consciente permet de guérir les symptômes hystériques. Aucun des prédécesseurs de Freud n’avait émis cette hypothèse et n’en avait tiré une pratique thérapeutique reproductible, sans hypnose, sans suggestion, par l’évocation des traumatismes sexuels infantiles grâce à la parole et à la prise de conscience.

Freud fondait du même coup un champ d’étude psychologique sur un fait psychologique dégagé de la neurologie (aux causes héréditaires ou de dégénérescences, Joseph Babinski renommera l’hystérie en pithiatisme pour l’exclure du champ scientifique de la neurologie, mais en la rejetant ainsi vers la simulation) ou de la psycho-philosophie de Pierre Janet.

Deuxième phase (1893-1905) : l'invention de la psychanalyse

Les thérapies engagées par Freud sur la base de ces hypothèses le conduisent à découvrir que tous ses patients n’ont pas subi de réels traumatismes sexuels dans leur enfance : ils évoquent des fantasmes, ils racontent un roman familial auxquels ils croient. Simultanément, il découvre que certains patients ne « souhaitent » pas vraiment guérir. Ils résistent et transposent des sentiments anciens vers leur thérapeute : c’est ce que Freud appelera le transfert. Freud crée alors le terme de psychanalyse pour désigner tout son champ de pratiques thérapeutiques et d’études théoriques.

Freud se lance alors dans la description d’un appareil psychique qui, par son fonctionnement, peut rendre compte de ces faits. L’inconscient apparaît alors comme la racine commune à ces phénomènes. Le préconscient joue le rôle d'interface entre conscient et inconscient. Il permet aux événements inconscients de venir à la conscience – par le travail thérapeutique, mais également au travers des rêves (la « voie royale » pour accéder à l'inconscient), des lapsus, actes manqués, jeux de mots, etc – ou être refoulés dans l’inconscient et produire des effets à longs termes parfois, sous forme de symptômes.

La vie mentale prend ainsi une forme plus complète où Freud articule la dualité des pulsions sexuelles, qui tendent à la conservation de l’espèce, et des pulsions du moi, qui tendent à la conservation de l’individu. L’appareil psychique a pour fonction la réduction des tensions (concept d’économie de l’énergie psychique, que Freud utilise régulièrement), en particulier celles qui sont déplaisantes (par décharge ou par refoulement dans un processus de défense). Le conscient n’est plus qu’une partie de cet appareil psychique dont la partie inconsciente, les tendances refoulées, se fraye un chemin dans les rêves ou les symptômes de la névrose.

La source profonde des névroses est à trouver dans cette configuration que traverse tout enfant au cours de son développement psychique, la situation œdipienne (amour pour le parent de sexe opposé et rivalité avec le parent de même sexe). Le conflit œdipien est plus ou moins dépassé au cours du développement de l'enfant. S'il ne l'est pas, il va perdurer sous forme de complexe, le complexe d’Œdipe. Freud pense cette situation universelle ou quasiment. Durant cette période, Freud se sert de son autoanalyse pour approfondir les rapports entre souvenirs d’enfance, rêves et troubles névrotiques.

Freud parlera de la psychanalyse pour la première fois publiquement en 1904, à une chaire universitaire américaine. En témoignage de reconnaissance, il y déclarera que le mérite de l'invention de la psychanalyse était due à Josef Breuer. Plus tard, il précisera que, bien qu'il soit lui-même réellement l'inventeur de la psychanalyse, il considérait que le \"procédé cathartique\" de Breuer constituait une phase préliminaire à son invention.

Cette période se conclut par la publication des Trois essais sur la théorie sexuelle (1905) qui rassemble les hypothèses de Freud sur la place de la sexualité et son devenir dans le développement de la personnalité, et par le Cas Dora qui introduit de manière détaillée et illustre le concept de transfert. Ce transfert, par lequel le patient crée une névrose (la névrose de transfert) dans la relation établie avec son thérapeute, en quelque sorte « expérimentale », est à analyser. C’est en analysant cette névrose que les origines de la névrose initiale se trouvent dévoilées, voire les causes dénouées.

Les premières publications de Freud sont utilisées par des médecins germanophones pour développer leurs pratiques thérapeutiques. Ceux-ci entrent en relation avec Freud et engagent avec lui de longs échanges critiques sur les résultats pratiques et les hypothèses à explorer. C’est le début de la psychanalyse en tant que mouvement.

Troisième phase (1905-1920) : l'institution psychanalytique

À partir de ces hypothèses considérablement enrichies et structurées, Freud s’interroge pendant toute cette période sur la pratique de la cure, ses indications, sa conduite, ses limites, sa fin et sur les conduites de l’enseignement et de la formation des psychanalystes.

Il publie des articles, par exemple À propos de la psychanalyse dite sauvage, où il critique les médecins qui s’autorisent une pratique psychanalytique sans avoir expérimenté par eux-mêmes le parcours d’une cure. Il défend aussi l’idée que des non médecins, formés à la psychanalyse, pourraient assurer des cures.

La « direction » des revues et des travaux théoriques, des séminaires, va l’occuper considérablement dans cette période, d’autant que parmi ceux qui travaillent avec lui, certains sont en rivalité personnelle, d’autres font des innovations théoriques ou pratiques que Freud n’admet pas, mais les débats restent ouverts car il n’a pas de réel pouvoir d’interdiction. Jung, Adler, Ferenczi, Rank et bien d’autres vont ainsi à la fois apporter des contributions de valeur, des critiques pertinentes et des inflexions que Freud va discuter pied à pied, d’où qu’elles viennent. Il intégrera, en cohérence avec ses théories, certaines d’entre elles dans ses hypothèses, des années après. Ainsi, il refuse la mise en avant de l’agressivité par Adler, car il considère que cette introduction se fait au prix de la réduction de l’importance de la sexualité. Il refuse également la mise en avant de l’inconscient collectif au détriment des pulsions du moi et de l’inconscient individuel, et la non exclusivité des pulsions sexuelles dans la libido que propose Jung.

Freud publie de nombreux ouvrages de synthèse, donne des leçons qu’il publie ensuite, et fait des conférences dans divers pays où il est accueilli de manières très diverses.

En 1915, il se lance dans la rédaction d’une nouvelle description de l’appareil psychique dont il ne conservera que quelques chapitres. Ce qu’il prépare est en fait une nouvelle rupture dans sa conception de l’appareil psychique : en 1920 il commence à rédiger Au-delà du principe de plaisir qui introduit les pulsions agressives, nécessaires pour expliquer certains conflits intrapsychiques.

Quatrième phase (1920-1939) : extension de la psychanalyse

Cette période s’inaugure par l’élaboration de ce qui a été appelé la seconde topique, composée du Moi, du Ça et du Surmoi. La seconde topique se substitue et se superpose à la première (inconscient, préconscient, conscient).

Le développement de la personnalité et la dynamique des conflits sont alors interprétés en tant que défenses du Moi contre des pulsions et des émotions, plutôt que comme conflits de pulsions (les pulsions en cause sont les pulsions de mort).

L’ambivalence et la haine étaient perçues dans la première topique comme consécutive de la frustration et subordonnées à la sexualité. Cette nouvelle conception évoque la lutte active qui se déroule entre les pulsions de vie (sexualité, libido, Éros) et les pulsions de mort et d’agression (Thanatos). Plus fondamentales que les pulsions de vie, les pulsions de mort tendent à la réduction des tensions (retour à l’inorganique, répétition qui atténue la tension) et ne sont perceptibles que par leur projection au-dehors (paranoïa) ou leur fusion avec les pulsions libidinales (sadisme, masochisme) ou leur retournement contre le Moi (mélancolie).

La censure qui provoquait le refoulement dans la première topique agit de manière inconsciente. L’inconscient n’est donc pas composé uniquement de refoulé.

Cette seconde topique induit des conséquences importantes sur la pratique de la cure : l’interprétation des conflits, qui ne sont pas des conflits actuels, ne sont pas non plus des conflits de pulsions, mais des défenses du Moi contre des pulsions. Les pulsions sont des pulsions sexuelles et des pulsions agressives. Cette conception de la psychanalyse est beaucoup plus riche et complexe que sa réduction au pansexualisme.

Dans les dernières années de sa vie, Freud a essayé d’extrapoler les concepts psychanalytiques à la compréhension de l’anthropologie (il avait déjà rédigé un certain nombre de textes dans ce sens, en particulier sur la religion comme illusion ou névrose).

Sa biographie, avec tous les drames qui l’ont atteint, n’est probablement pas étrangère au pessimisme foncier qui s’en dégage. C’est la partie la plus « risquée » de son travail et celle où les soubassements philosophiques de sa pensée émergent le plus (biologisme en dernier recours parfois, visions politiques qui sont des « projections » de la dynamique individuelle sur la société, etc.).

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