Pierre Assouline est né en 1953 à Casablanca au Maroc. Fils d’un résistant, qui a participé à la campagne d’Italie, il est écrivain, biographe et journaliste. Il a été directeur de la rédaction du mensuel « Lire » et collaborateur de RTL. Il est arrivé à Paris à l’âge de 11 ans.
ENTRETIEN
Journaliste, auteur d’une vingtaine de livres, des biographies et des romans, il se reconnaît en souriant dans une description au raccourci qu’on fit de lui, « le jouisseur intranquille ».
Pierre Assouline a des yeux bleus étonnamment vifs et pourtant étonnamment doux quand son enfance au Maroc lui revient en mémoire. « C’est pendant l’enfance que tout se bâtit. C’est de cet âge d’or que j’ai la nostalgie, de ces fins de semaine à Tahiti-Plage, de l’océan, de mon immeuble, de ma rue, qui s’appelait autrefois rue Prom, et qui s’appelle maintenant Ibn Batouta ; j’ai la nostalgie du Casablanca des années 50 et 60…
Je crois que ce sont les Français nés au Maroc qui, plus que ceux nés en Tunisie, et bien différemment des Français nés en Algérie, ressentent cette déchirure. La raison est simple : au Maroc, il n’y a pas eu de guerre, donc pas de contentieux.
Pour moi, l’arrivée en France à été un cauchemar : je quittais le soleil pour la pluie, la couleur pour le gris. Je quittais la gentillesse et le sourire des gens pour…Paris. Ce départ a coïncidé avec mon entrée en 6e : le changement a été très dur. Plus tard, j’ai eu une sorte de rébellion, qui s’est traduite par une inscription à la fac de langues orientales, où j’ai fait de l’arabe classique. J’en ai expliqué la raison à mon père, en lui reprochant de ne pas m’avoir fait apprendre la langue d’un pays où j’étais né et où j’avais si longtemps vécu. Pourtant, la première arme du commerce étant la langue, mon père parlait arabe, ce qui était nécessaire pour son travail. »
Le café commandé arrive, dehors de gros nuages s’amoncellent, troublant un ciel radieux. « Dans les années 60, je venais déjà ici, c’était un hôtel délicieux, bien plus petit que maintenant, et avec un charme fou. Malgré les changements, j’aime y revenir. Il a toujours une belle âme… En fait, ce qui a marqué ceux qui, comme moi, ont vécu au Maroc, c’est que l’on continue d’y respirer ce qu’on a aimé, ce qui a cultivé nos sens, nos goûts.
Ce pays, le pays du monde fabuleux de mon enfance, existe toujours. Son drapeau, c’est toujours celui de ma jeunesse, et lorsque j’entends l’hymne nationale, je pleure. »
Les grands parasols blancs sur la terrasse se soulèvent violemment de leurs socles…« Ma mère a toujours cuisiné à la marocaine, c’est une cuisine que je considère comme la meilleure du monde… J’ai donc été suivi par des saveurs qui m’étaient chères. Maintenant encore, je vais souvent dîner chez ma mère ; elle fait des couscous, des dafnas, des tajines…mais pas la pastilla, un plat trop long à faire, trop complexe… » Un vent chaud fait claquer les portes, au loin retentit un bruit de verre brisé, quelques pétales de roses effleurent en tourbillonnant les baies vitrées.
« Quand je songe à ce pays que j’aime si profondément, je me dis que je voudrais faire plus pour lui. Pour la défense du français, par exemple, car la langue est un véhicule puissant. L’anglais au Maroc n’est pas naturel, le français, si… En faire plus aussi pour le rapprochement entre la France et le Maroc… Ce pays ne serait pas le même sans son ancien lien avec la France. Et Sa majesté Mohammed V a très intelligemment géré les processus d’après décolonisation… »
La tempête se lève, la pluie se met à tomber dru, des jeunes femmes s’enfuient de la piscine.« …Aujourd’hui, le Maroc a un rôle historique à jouer entre l’Occident et le monde arabo-islamique. Culturellement, linguistiquement, ce pays qui n’a jamais rien sacrifié de ses traditions représente l’Islam des lumières contre l’Islam intégriste. C’est un laboratoire rêvé, un bastion : le contrepoids à l’islam intégriste se fait naturellement, car le roi est aussi le Commandeur des Croyants. À ce titre, le Maroc aurait autant le droit d’entrer dans la Communauté européenne que par exemple la Bosnie… »