Rutebeuf est le plus illustre des poètes du XIIIe siècle, mais on ne sait quasiment rien de lui. Son nom même, que l'on trouve dans ses vers, est sans doute un surnom. Il est peut-être d'origine champenoise, vit à Paris, est sans doute poète de profession et traverse des phases de grande pauvreté. Son oeuvre, composée entre 1248 et 1272 (au moins) est d'une grande diversité thématique et formelle : hagiographie (Vie de Sainte Helysabel), théâtre (Miracle de Théophile, vers 1260, le plus ancien exemple de miracle par personnages), poèmes polémiques (par exemple pour défendre les maîtres séculiers contre les frères prêcheurs, vers 1250), appel à la croisade (Nouvelle complainte d'outremer), oeuvres satiriques (Renart le Bestourné ou Dit de l'Herberie, un monologue imitant celui du charlatan qui vend ses herbes). Ses vers les plus connus sont les Poèmes de l'infortune, qui peignent la pauvreté, le froid, le jeu, la débauche, la vie et la mort pitoyable de ses compagnons de misère, par exemple dans le toujours célèbre \"Que sont mes amis devenus / Que j'avais de si près tenu / Et tant aimé ?\". Ses poèmes sont le plus souvent des dits, qui mettent en scène un je tour à tour poignant et pamphlétaire qui s'adresse à son lecteur et cherche à l'émouvoir. Ils semblent évoquer des expériences vécues et donnent l'illusion de la confidence, par l'accumulation de détails réalistes et la récurrence d'images prégnantes. Il faut toutefois se garder de cette illusion de sincérité autobiographique : la pauvreté et le malheur du jongleur sont un topos de la poésie médiévale. Le travail sur la langue de Rutebeuf est d'une grande virtuosité : il recherche notamment des rimes riches et équivoques et se livre à de nombreux jeux de mots (par exemple sur son nom).